samedi 10 mars 2012

A l'ombre d'Eve : Institut Français de Thessalonique, 16/2-8/3 2012

«Eve, Ariane et Arachné : histoires de femmes »

 

Est-ce Ariane qui avec son fil sauva Thésée – et fut vite abandonnée, pour sa peine ? Est-ce Arachné, qui dans sa tapisserie dénonça les bestiales amours de Zeus et en fut cruellement punie ? Quant à Eve, son expiation reste encore et toujours la justification métaphysique de sottises quotidiennes. Qui dira mieux qu'une artiste ce qu'est la force et la toxicité des images ?

 

Léna Mitsolidou convoque les arts de la brodeuse à l'Institut français pour une installation qui explore notre imaginaire et, à la pointe de son aiguille, marque les failles et les lacunes d'une véritable égalité, encore à venir, entre hommes et femmes. Mais aussi la violence  à elles infligées et, non la moindre, par elles-mêmes.

 

Si les modèles « roses » et « bleus » s'atténuent quelque peu, comment oublier que « Barbie », née avec la libération supposée de la femme, reste la référence absolue des petites filles, avec son triste parèdre, Ken…

 

Manifester les stéréotypes, les interroger, faire jaillir aussi l'émotion, qui peut être rejet violent, mais aussi conduire à la mise à distance, à la maîtrise, et pourquoi pas au jeu, est une des fonctions de l'art contemporain. Le féminisme n'y a que rarement recouru, au-delà de la dénonciation et de l'ironie.

 

L'installation de Léna Mitsolidou apporte sa contribution originale avec une force et aussi un humour personnel. Elle ne cache pas la responsabilité (plus ou moins volontaire) de la femme en véhiculant et reproduisant, en bleu ou en rose, les rêves qui l'enferment dans ses rôles et ses malheurs. L'artiste recourt au monde de la broderie, du foulard, de la robe, apanages de la femme, comme à un medium ironiquement adapté afin de démontrer les songes, de l'éternelle Emma Bovary, pour en briser la fatalité. Elle le fait avec force, sans craindre les images de violence, mais sans apitoiement sur soi. C'est l'image d'une nouvelle féminité qui émerge devant nous : lucide et responsable. Comme si la femme avait conquis enfin sa capacité à se représenter, dans ses forces et ses faiblesses, mais en sachant tout ce qui lui reste à vaincre – y compris en elle-même. Le combat contre les idées reçues et le mensonge commence en nous.

 

Grecque, fille de la Méditerranée, et formée dans le Nord de la France, hantée par le sort des femmes, et femme épanouie, Léna Mitsolidou, apporte son expérience de l'échange des lieux et des cultures, et a trouvé dans ce déplacement une force bien à elle, qui charpente son œuvre. Recourir ainsi au textile, au fugitif, au provisoire, au minutieux, qui caractérise les arts de la femme, par opposition à la « virile » grande peinture ou sculpture, n'a rien d'innocent. C'est remettre, par des moyens de femme, et dans une appropriation ambitieuse de l'espace, un discours féminin au centre de la cité.

 

La proximité de l'Ecole française, la volonté d'associer les enfants à sa démarche, notamment à travers des ateliers, illustre aussi une conception militante et citoyenne de l'art, qui doit, bien au-delà de la journée du 8 mars, continuer à nous interroger sur une féminité en perpétuelle (dé)construction, pour une reconstruction du bonheur entre hommes et femmes. La malédiction d'Eve serait ainsi, en fin, brisée.

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